Il y a dans de hauts et solides bâtiments flanqués d’arrogance, des esprits fébriles qui s’affairent d’anticipation. Hantés par les chiffres et les courbes, ils dansent d’éloquences et de théories pour se faufiler dans la chorégraphie du pouvoir.
A chaque pas de danse, ils enfantent des trous noirs économiques et rivalisent de stratégies pour les combler. Ils vivent bien au delà des nuages, dans des sommets inaccessibles au bon sens commun.
Le poids des années s’accumulant sur leurs épaules les rendent encore plus calculateurs.
Ils sont tirés vers le haut par la toute puissance de courbes qui les font courir toute la journée. Ils brassent de l’air afin de ne pas rater une occasion de s’élever encore un peu plus haut.
Le poids des années s’accumulant sur leurs épaules, les rendent encore plus courbaturés.
Car c’est bien là la revanche des courbes. A force de trop vouloir les tordre vers le haut, elles façonnent leurs esprits de sorte qu’ils en deviennent tout courbaturés de l’intérieur. Et voici qu’ils se recroquevillent sur eux-mêmes, laissant leur regard hagard de stratégies obscures… Clopin-clopant, ils avancent dans la vie, trainant derrière eux les chaînes de leur plus grande hantise : celle des profits.
Ils perçoivent du monde des paysage de chiffres. Au loin, leur regard se porte sur une courbe d’horizon couleur or et platine qui appuie leur voracité.
Pour étancher leur soif d’absolu, ils alignent des chiffres sur des écrans d’ordinateur, afin d’enfanter des zéros.
Ils sont comme ces petits enfants à qui on a donné des lego et souhaitent conquérir le monde.
Devenus adultes ils s’adonnent au jeu de l’égo et croient pouvoir à nouveau conquérir le monde. Ils aimeraient faire concurrence au soleil en devenant brillant de réussite. A chaque flambée de chiffre ils s’illuminent de contentement telle des feux de paille.
Ils ont élu à l’unanimité le Dieu Vengeur.
Ils ont créé une bible des chiffres et ont alors enfanté le rituel sacré du bal des courbes…
Et les voilà qui s’élèvent, d’heures en heures, en suivant la courbe de leurs propres folies, vers d’improbables bulles illusoires qui éclatent sans raison.
Et les voilà qui chutent, de secondes en secondes, en glissant sur la courbe de leurs propres folies, vers une fin inexorable…
Mais qu’importe, demain ils se vengeront ! Ils tireront les courbes encore plus fort vers le haut…
Pour faire allégeance au Dieu Vengeur, ses adeptes entretiennent d’étroites relations avec des anges aux courbes favorables. Ils prient leur Dieu et s’adressent à ses Saints afin de remodeler le monde en courbes de profits.
Chaque soir, ils prient l’autel du Dieu Vengeur.
Ils ruminent d’intelligence pour faire pencher la balance des probabilités. Ils officient de stratégies afin de manipuler les courbes et les faire plier dans le bon sens.
D’ailleurs ils se penchent de plus en plus fréquemment sur des stratégie de plus en plus complexes afin de rehausser les courbes.
Ils se tordent de stratégie et s’atrophient sous le poids des chiffres.
Et si cela ne suffit pas, ils se vengent en inventant des mondes virtuels ou tout devient possible, même l’impossible.
Au détriment du bon sens, ils prétendent que le monde se porte bien parce que mathématiquement, il y a toujours une probabilité que les courbes deviennent encore plus favorables.
Ils passent leurs vie à vouloir la gagner… Et ils passent leurs vies à la perdre…
De jours en jours ils se flétrissent de joie parce qu’un adepte du Dieu Vengeur finit toujours par faner de ses propres stratégies…
*
Le Dieu Vengeur a maintenant commencé son dernier rituel.
Il officie en faisant éclater les bulles virtuelles que ses adeptes ont enfanté. Elles éclatent les unes après les autres.
Car les bulles sont les fondements même de son esprit de vengeance. Et ses adeptes, qui espéraient encore gravir tous les échelons du pouvoir en brassant de l’air dans des bulles virtuelles, se confondent d’incertitudes.
Ils pensaient rebondir indéfiniment en s’aidant de bulles virtuelles, mais voici qu’ils récoltent les raisins de la colère.
Et bien plus bas, sur des terres devenues parfois infertiles, le peuple se débat de misère et crie également sa colère. Et le Dieu Vengeur continue à officier pour raviver, encore et encore, la colère du monde…
Et plus la colère gronde, plus il danse de vengeance…
*
Mais il n’est de terres devenus infertiles qu’en nous-mêmes. Il n’est d’absence et d’abandon que de nous-mêmes.
A l’horizon de nos propres paysages intérieurs s’est substitué l’horizon de la rentabilité, parce la source de tous nos rêves s’est momentanément tarie.
L’horizon économique dresse le paysage de notre propre absence à nous-mêmes…
C’est parce que nous avons oublié qui nous étions de toute éternité que c’est greffé dans nos cœurs la maladie du Dieu Vengeur. C’est parce que nous avons démissionnés de nous-mêmes que le Dieu Vengeur a pu prendre une telle ampleur.
Il n’est de Dieu Vengeur sans consentement…
Et c’est à la mesure du bilan de ce nouveau millénaire qu’il faut maintenant tirer les conclusions qui s’imposent et se donner individuellement et collectivement les moyens de déposer les armes du Dieu Vengeur…
Alain Degoumois
Source : https://www.atlantide-research.com/164-petit-conte-economique