Il était une fois un homme pauvre qui pour survenir vendait du bois et de la paille. Il parvenait ainsi à obtenir un peu de pain et de fromage pour lui et sa fille unique. Un jour, alors qu’il passait sur le port, il vit le roi qui, debout sur son bateau, tenait à la main une manne remplie de pièces d’or. Il proposait des énigmes à son peuple et promettait à celui qui pourrait les résoudre l’ensemble de ce trésor. Hélas ! les questions étaient telles que personne n’y parvint. Le pauvre homme essaya, réfléchit, tourna mille fois les questions dans sa tête mais ne trouva rien. Il rentra chez lui, tout en rêvant à la manne pleine d’or. A peine entré, sa fille remarqua qu’il se passait quelque chose. Elle lui demanda :
« Père, mon bon père, mais qu’as-tu donc? Ton regard est perdu dans des songes et tu rentres plus tard qu’à l’ordinaire. Que t’est-il arrivé? »
« Ah! ma fille, répondit l’homme, je reviens du port où le roi propose des énigmes au peuple et promet à qui pourra les résoudre une manne pleine d’or. Si je pouvais résoudre ces trois énigmes, nous serions riches. »
« Dis-moi ces énigmes, mon bon père. Peut-être pourrai-je les résoudre et ramener un peu de lumière dans cette maison. »
« Volontiers. Voici la première : Qui embrasse le monde entier et ne rencontre personne qui lui ressemble? »
« Mais c’est le soleil, dit la jeune fille. Il embrasse le monde entier et ne rencontre personne qui lui ressemble. Quelle est la deuxième? »
« Qui est celle qui nourrit ses petits enfants et dévore les grands? »
« Mais c’est la mer. Elle dévore les grands fleuves. Et quelle est la dernière? »
« Quel est l’arbre à demi noir et à demi blanc? »
« Mais c’est l’année, mon bon père, avec ses nuits et ses jours. Va, retourne sur le port et donne ces trois réponses au roi. »
L’homme courut au port, il s’agitait, levait les bras et, une fois arrivé, cria:
« Je connais les réponses, noble sire! »
Le roi incrédule écouta le pauvre homme. Lorsqu’il entendit les réponses, il regarda l’homme et dit:
« Cela ne se peut. Ton cerveau vieux et fatigué ne pouvait trouver les solutions. Qui t’a donné les réponses? »
Le vieillard se laissa tomber à genoux sur le sol et dit:
« C’est ma fille, noble sire. Elle a résolu les énigmes. »
« C’est bien, dit le roi. J’aimerais voir, à présent, si ta fille est vraiment aussi spirituelle. Amène-la moi afin qu’elle tue cette pierre devant tout le peuple. Je veux qu’elle la tue de manière à ce que le sang en coule. »
Sur le port, les gens s’esclaffaient. Ils attendaient la fille du pauvre homme. Leur attente ne fut pas très longue. Déjà la fille s’avançait vers le roi, son couteau à la main.
« Voici mon couteau, noble sire, je vais tuer ta pierre mais avant cela, il faut que tu lui donnes une âme, car seul ce qui est vivant saigne. Si après cela, je ne la tue pas, fais-moi couper la tête. »
Le roi rit à cette réponse et dit:
« Je crois que tu es la plus intelligente de mon royaume. »
Et comme en plus d’être intelligente, la fille du pauvre homme était aussi très belle, le roi ajoute :
« J’aimerais faire de toi ma reine. D’ici trois jours, tu devra être dans mon château. J’y mets cependant trois conditions : Tu dois chevaucher et ne pas chevaucher, m’apporter un cadeau et ne pas l’apporter. Nous tous, petits et grands, nous sortirons pour t’accueillir, et il te faudra amener les gens à te recevoir et pourtant à ne pas te recevoir. »
La jeune fille revint chez elle et demanda à son père de l’aider à attraper quatre lièvres et deux pigeons vivants. Au troisième jour, elle mit les lièvres dans un sac, les donna à porter à son père et dit:
« Quand je te dirai de les laisser partir, fais-le! » De son côté, elle les deux pigeons, s’assit à califourchon sur une chèvre et s’en alla vers le château du roi.
Entendant qu’elle approchait, le roi et toute sa maison sortirent de la ville à sa rencontre.
Lorsque la jeune fille ne fut plus très loin et qu’elle aperçut les ministres, les hauts dignitaires et les courtisans, le peuple rassemblé, elle dit à son père de laisser s’en aller les lièvres. Aussitôt, tous se mirent à les poursuivre, afin de les rapporter. La jeune fille, assise à califourchon sur la chèvre, tantôt marchait sur ses pieds, la chèvre entre les jambes, tantôt, levait les pieds et chevauchait sur le dos de la chèvre. Elle s’avança vers le roi en tirant les deux pigeons de sa poche et les lui tendit. Au moment où il voulut s’en saisir, la fille ouvrit la main et les pigeons s’envolèrent.
« Me voici, noble sire. Les gens m’ont reçu et pas reçu. Je t’ai apporté un cadeau et pas apporté. J’ai chevauché et pas chevauché. »
Le roi la souleva de la selle et dit:
« Tu seras ma reine, car une femme intelligente m’est plus précieuse qu’une femme riche et de haute naissance. Je dois encore te faire promettre une chose: je voudrais qu’à aucun moment tu ne te mêles pas des affaires d’État, car je tiens à gouverner seul. »
La jeune fille lui promit et il vécurent un grand bonheur.
Il arriva qu’un jour, alors que de pauvres paysans gardaient des chevaux dans la prairie, le roi vint à passer. Les paysans s’étaient endormis et un cheval s’élança sur le roi en tuant son cheval, une belle jument grise. Il entra dans une immense colère et ordonna qu’on jette les paysans en prison, en attendant de leur faire couper la tête.
Un grand désespoir saisit les femmes des paysans qui ne voyaient d’autre solution que de s’adresser à la femme du roi qu’on disait bonne et sage. Elles arrivèrent près de la reine, tombèrent à genoux et la prièrent, au nom de Dieu et de leurs enfants, de les aider.
« Que puis-je faire pour vous être utile ? Le roi m’a défendu de me mêler des affaires de l’Etat. Je ne peux que vous donner un conseil. Ce soir, placez-vous avec vos enfants sur la plage. Tenez-vous sous la fenêtre tournée du côté de la mer et pleurez, gémissez toute la nuit. Il ne recevra pas son soporifique et vous pourrez lui dire :
« Le monstre marin est venu pour nous dévorer. Sauve-nous, ô noble sire. Nous prierons pour qu’une longue vie te soit accordée! »
Il vous répondra:
« Malheureuses, bien que je sois le roi, il n’est pas en mon pouvoir d’empêcher le monstre marin de tuer. »
Vous lui direz alors:
« Ô noble sire, tu ne peux nous sauver du monstre marin, bien que tu sois le roi. Et tu veux faire tuer nos maris qui n’ont pas pu empêcher un cheval d’en tuer un autre. »
Et le roi vous dira:
« Prenez cette clef, allez à la prison et délivrez les. »
Les femmes firent comme la reine le leur avait dit, et tout se passa exactement comme elle l’avait prédit. Le lendemain matin, en se réveillant, le roi dit à sa femme:
« Tu peux me donner mon soporifique, afin que je rattrape le sommeil perdu. Lorsque je me réveillerai, je ne veux plus te voir au château. Tu a le droit d’emporter en partant ce qui t’est le plus cher et le plus précieux dans cette maison. »
« Bien volontiers, mon roi! »
Elle lui présenta son verre d’eau. Il le but et s’endormit. La reine enveloppa soigneusement le roi dans une couverture, en fit un paquet et dit à son serviteur:
« Emporte ce paquet dans la maison de mon père. Prends garde, il est rempli de porcelaine. Il faut le déposer doucement afin de ne rien casser. »
Elle s’en alla vers la maison de son père, et y arriva peu avant le réveil du roi. Lorsque celui-ci se réveilla dans un lit inconnu, dans une maison étrangère, il dit:
« Où suis-je? Qui m’a apporté ici? »
La reine lui répondit:
« C’est moi, noble sire. Tu m’as permis d’emporter du château ce qui m’y était le plus cher et le plus précieux. Il n’y a pour moi rien de plus précieux que toi, mon roi. »
« Rentrons au château, ma mie, s’écria le roi en se levant. Il n’existe nulle part sur terre une femme plus spirituelle que toi, et je t’appartiens comme tu m’appartiens. »
Il l’emmena et rejoignit le château en sa compagnie. Ils y vécurent très heureux et qui sait s’ils ne vivent encore ?
Source : fée clochette