» Quoi qu’il arrive, n’en faites pas une affaire personnelle « , énonce le deuxième accord. » Rien qu’en appliquant ce deuxième accord » dit don Miguel, » vous commencerez à briser des dizaines de petits accords qui vous font souffrir « . Ne plus prendre les choses personnellement, c’est en effet retirer à autrui le pouvoir qu’on lui a donné de nous juger, de nous critiquer, de nous nuire. C’est cesser d’attacher de l’importance à l’opinion d’autrui, ne plus dépenser d’énergie à défendre une image idéale de soi contre les critiques, ni à chercher à la nourrir de compliments. Dans la pratique, cependant, prendre tout ce qui nous arrive personnellement est plutôt la norme. La moindre remarque nous vexe, nous irrite ou nous attriste. Et je me suis rendu compte que tout en comprenant la pertinence de ce deuxième accord Toltèque, beaucoup ont de la peine à l’appliquer. En effet, il est difficile de mettre en pratique une injonction en » Ne… pas » : OK, je n’en fais pas une affaire personnelle, mais alors… j’en fais quoi ? Untel me traite d’idiot(e) ou d’incompétent(e), m’insulte ou m’humilie : comment réagir autrement que personnellement ?
Une première clé consiste à changer de centre de gravité dans la relation. Au lieu de m’occuper de moi, de ce qu’on dit de moi, de comment autrui se comporte envers moi, je m’intéresse à l’autre : qu’est-ce que son attitude et ses paroles me disent de lui et non de moi, que m’apprend-il sur lui en me parlant de moi ? » Une montée est une descente vue d’en bas » dit un adage plein de bon sens qui nous rappelle qu’une opinion n’a de pertinence qu’en fonction du point de vue d’où on l’émet. C’est ce que soulignait Courteline avec humour : » Se faire traiter d’idiot par un imbécile est une volupté de fin gourmet « . Celui qui me traite de minable ou de nul m’indique surtout depuis quelle orgueilleuse hauteur il me considère. Par analogie, le poids qu’affiche une balance n’a de valeur que si celle-ci a été étalonnée, mise à zéro : pourquoi donc accorder de l’importance à une opinion (=une mesure), si le point de vue dont elle émane ne me paraît pas juste, pas fiable ?
Enfant, rappelle don Miguel, c’est à travers le regard des parents et des adultes que nous nous sommes formés une image de nous-même, que nous avons appris (ou cru apprendre) qui nous étions : » tu es moche « , » tu es nul(le) « , » tu es lent(e) « , etc. Nous avons accepté ces jugements en croyant le point de vue des adultes fiable. Ces qualificatifs ont eu un impact sur nous parce que nous avons donné notre accord à ce qui nous était dit de nous. Adulte, devenu conscient des limites et de la relativité des points de vue de ceux qui nous ont étiquetés, il nous revient de briser les accords qui nous limitent et nous rendent dépendant de l’opinion d’autrui. De même, il nous revient de conclure l’accord de ne plus accepter, en les prenant personnellement, les opinions et jugements d’autrui qui ne reflètent le plus souvent que le point de vue faussé de ceux qui les émettent. Un accord important à briser pour ne plus prendre les choses personnellement, est donc celui qui consiste à croire (cela vient de notre enfance) que les autres nous connaissent mieux que nous. En réalité, personne n’est dans notre tête, dans notre cœur ou dans notre corps : nul ne sait mieux que moi ce qui se passe en moi, ce qui m’anime, pourquoi je me lève le matin, quelles sont mes intentions, mes idéaux, mes craintes, etc. Son propre étalon, ce n’est pas dans l’opinion fluctuante des autres qu’il faut le chercher, mais en soi, en l’établissant de préférence d’après les repères stables fournis par les grands principes spirituels d’amour, de vérité et de sagesse.
Une dernière clé et une mise en garde, pour conclure. La clé : lorsque vous réagissez personnellement à un jugement d’autrui, sachez que cela signifie que vous vous jugez vous-même de la même façon. C’est un phénomène de résonance. Votre réaction vous donne donc l’occasion de vous libérer d’un jugement envers vous-même, titillé par la critique d’autrui. Celui qui a totalement cessé de se juger lui-même n’est plus atteint par les jugements des autres. Et enfin la mise en garde : ne pas prendre les choses personnellement ne signifie pas ne pas les prendre du tout ! Tout renvoyer à son interlocuteur en lui disant : c’est ton point de vue, c’est ton problème, c’est ta vision des choses, etc., aboutit à s’enfermer dans une bulle où il n’y a plus d’échanges avec autrui. Le regard d’autrui sur nous n’est pas forcément juste ni 100% vrai, mais il n’est jamais inintéressant : il a toujours quelque chose à nous apprendre, que ce soit sur l’autre ou même sur soi (par les réactions qu’il déclenche en nous, notamment). C’est d’ailleurs lorsqu’on a cessé de prendre les choses personnellement qu’on est le mieux en mesure de tirer profit d’une opinion ou même d’un jugement, précisément parce qu’on n’y réagit plus : l’échange peut alors être ouvert, constructif, mutuellement enrichissant, même lorsqu’il est amorcé de façon agressive ou violente.On apprend dans les dojos d’arts martiaux à parer des attaques diverses. Les Quatre Accords toltèques nous fournissent des clés pour tirer le meilleur des attaques verbales ou comportementales. Il serait d’ailleurs envisageable de mettre sur pied des séances où, comme pour les arts martiaux, on pourrait pratiquer au ralenti, progressivement, dans un cadre sécurisé, l’art de défléchir des attaques verbales, de ne pas réagir personnellement, etc. Des amateurs ?…
Olivier Clerc